L’ÉVEIL, une nouvelle de Mardi Mallat-Desmortiers

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L' Éveil,

une nouvelle de Mardi Mallat-Desmortiers

Au plaisir des papilles s'ajoute celui des mots. Pour Baptiste Fournier, chef du restaurant Empreinte à Vannes, c'est le motif de l'empreinte que Mardi Mallat-Desmortiers nous déploie.

C'est un signe.

J'ai rêvé d'un signe.

Pas le type de signe dont on fait l'ébauche au coin d'une feuille pour tromper l'ennui ou vérifier le niveau d'encre d'un feutre usagé. Je veux dire, pas une quelconque figure de géométrie qu'on peut retrouver dans les jouets pour enfants – de ceux qui éveillent la motricité.

Non. C'est un peu plus complexe que ça.

J'aurais bien du mal à le décrire, pourtant je le visualise très distinctement lorsque je ferme les yeux. Ça me prend quelques secondes, le temps que je m'accommode à la pénombre, et c'est comme s'il avait toujours été là : imprimé sur le négatif de ma rétine, sous l'écran de mes paupières.

La première chose qui me frappe, c'est la façon dont il se meut. C'est ça : je ferme les yeux, et dans l'obscurité dansent ses arabesques. Étrange sentiment de netteté devant une image aussi vaporeuse. Le trait scintille, comme guidé par de minuscules compas au tracé simultané. Je pense compas et ça ne m'étonne pas : ce signe, il a des airs de rosace. Une rose sans épine.

Dans mon rêve, il marque chaque lieu que je traverse. Je le revois gravé sur le dossier d'une chaise en bois dont la peinture s'écaille ; apposé sur la céramique qui longe le couloir ; sculpté dans la poignée d'une porte entrouverte ; brodé dans l'ourlet d'une chemise en lin. 

Je révise mon itinéraire onirique et me surprends avec l'idée que, peut-être, puisque c'est un signe, il mène quelque part – mais où ? Peut-être, qu'il signifie quelque chose – mais quoi ?

Puis le rêve s'évanouit et m'échappe lestement comme il fait souvent au réveil. Ne restent que les photographies mentales éparses de ce signe qui pourrait tout autant ne se référer à rien que sortir tout droit d'un livre sur les sciences occultes.

Je m'étire longuement dans les draps froissés. L'air est lourd ; on est à l'aube de l'été. Le jour, dûment levé, s'étale sur la moquette en filtrant par l'interstice entre les volets. Je traîne le pas jusqu'à la fenêtre, fais grincer le battant, illumine, aère. Dans le ciel découvert, un couple de papillons blancs s'éloigne en tournoyant.

Un parfum d'huile chaude chatouille mes narines et m'invite en cuisine. Là, des légumes transpirent sous la supervision attentive de la mère. Je la salue d'un sourire las.

- As-tu bien dormi ?

J'acquiesce sans pouvoir retenir un bâillement. L'horloge indique midi. Bientôt, je m’attelle à disposer la vaisselle en porcelaine dans la salle à manger. La table parée, je m'assieds à ma place tandis qu’elle dépose le plat sur la nappe. J'entreprends alors de nous servir distraitement quand, soudain, un détail attire mon attention : dans la rondelle, oui, là, à l'intérieur, enveloppant les pépins qui ont doré à la cuisson ! le signe dont j'ai rêvé. Oh, je n'invente rien – comment pourrais-je seulement ?

 
Valentine Mallat Desmortiers

crédit photo Louis Poulet

“Je me suis souvent demandé : à quoi ça ressemble, un·e auteur·ice ? Au fur et à mesure des années, j'ai alimenté toute une imagerie poétique de l'activité de création. Je ne me figurais certainement pas un·e enfant aux cheveux sales, chaussettes jusqu'aux genoux sur pantalon de sport 13 % d'élasthanne 87 % polyester. Je me l'imaginais encore moins réciter ses textes contre le radiateur, ou à quatre pattes pour rebrancher l'ordinateur.”

MARDI a bientôt 25 ans et écrit depuis 11. IEL étudie la sociologie à l'EHESS après avoir obtenu un diplôme en Communication au CELSA Paris-Sorbonne.


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Rencontre avec les chefs du restaurant Empreinte à Vannes