SOUS COUVERTURES une nouvelle de VALENTINE MALLAT-DESMORTIERS

Cette nouvelle est inspirée de la collection NOUVEAUX MONDES , dessinée par Stéphane Van-Dorpe créateur de POÉSIEANDSONG

L’océan est une mer qui est une mare qui est une flaque. Mais je ne le vois plus. Les dunes sont des collines ou plutôt des montagnes sinon un massif tout entier, une chaîne faite de grottes et de cavités. La forêt couvre la pierre, grimpe à flanc de falaise, met l’eau à la bouche. Les pins n’ont pas le vertige. Du sommet, on aperçoit d’autres sommets, têtes courbes ou mentons relevés, c’est selon qui est au-dessus de qui, question de hiérarchie. 

On pourrait croire qu’il n’existe pas de villes, pas de routes, seulement des sentiers, des arbres et des rochers. Des qui crient et d’autres qui chuchotent. Les cailloux sont les plus commères mais les conifères laissent faire. Cellui à ma droite, oui, attendez, si, cellui à ma droite voudrait bien un peu d’ombre : la mousse lui démange l’écorce là où lui est gravé un cœur. Je l’habille en 30 % branchages et 70 % lierres, façon camouflage militaire.

À quelques mètres sur la gauche, disons cent cinquante quatre, une cascade chute au milieu des orties. Elle grogne : ça lui fera un bleu. Les orties, elles, ne disent rien. Ce n’est pas qu’elles sont polies mais elles ne ressentent pas la douleur, elles ont de la corne sous les pieds. Le torrent écume, il se fait rivière, bain et creuse la terre. Il sinue entre les troncs, sureau sauge cèdre, s’emmitoufle dans leurs racines et déborde. S’excuse : il est pressé. C’est l’heure où les poissons mangent. 

L’eau est froide, elle pique les cuisses et coupe le souffle tandis que le soleil chauffe la nuque. Heureusement, j’ai un nuage quelque part au fond d’une poche. Il faut y plonger la seconde main, enfoncer le bras jusqu’au genou, écarter les galets et tirer fort. Voilà. Il est un peu froissé mais ça fera l’affaire. Je le secoue pour en ôter les peluches et le gonfle. Je le gonfle beaucoup. Sous mes lèvres, le caoutchouc goûte un mélange de vase et de mélisse, à moins qu’il ne s’agisse de menthe poivrée. Je le gonfle jusqu’à ce que la pluie perle, jusqu’à ce qu’elle s’annonce par rideaux à franges, brode l’air en points avant pour apporter texture et relief aux plaines planes. Chatouille la surface des prés, crée moutons et marées, vagues de feuilles et d’épis. Maïs, haricots, courges. Je ferme les yeux et fais la planche dans les fourrés. Le vent se lève, mouillé, il n’a pas dormi de la nuit, il a des cernes grandes comme ça et il titube un peu mais il a besoin de caféine alors il s’appuie sur la cime de Charlie. Geint, bouscule, décoiffe jusqu’à ce que caféine, caresse. 

Rassise puisqu’il est très exactement treize heures dix-huit minutes et vingt-six secondes sur le cadran solaire que j’ai étanche au poignet, je tire  ma manche d’où tombent gravier, poussière, faucon et pelouse. J’efface le faucon du revers de la main, dissimule ses plumes sous le tapis d’aiguilles. C’était une maladresse, ça n’arrivera plus. J’ai du sable entre les orteils mais je ne peux pas retirer ma chaussette puisque ma chaussure est une nageoire. Qu’à cela ne tienne, je m’ébroue au sortir du champ. Ce n’est pas aussi efficace qu’un sèche-cheveux ou qu’une tractopelle mais les villes n’existent plus et je n’ai pas d’équivalent. Après quoi je cueille des pâquerettes les mains en coupe dans le ruisseau, roule dans l’herbe à la verticale et ricoche contre la lune qui est pleine - c’était lasagnes ce midi.

Valentine Mallat-Desmortiers

 

crédit photo Guillemette Trognon

Mots de l’auteure:

“Je me suis souvent demandée : à quoi ça ressemble, une auteure ? Au fur et à mesure des années, j'ai alimenté toute une imagerie poétique de l'activité de création. Je ne me figurais certainement pas une enfant aux cheveux sales, chaussettes jusqu'aux genoux sur pantalon de sport 13 % d'élasthanne 87 % polyester. Je me l'imaginais encore moins réciter ses textes contre le radiateur, ou à quatre pattes pour rebrancher l'ordinateur.”

Valentine a 28 ans et écrit depuis plus de 15. Elle travaille actuellement sur un projet de roman.


Sophie Masson

De son passé de styliste de mode, Sophie a gardé cette curiosité d’humer l’air du temps, de créer ses propres tendances, de mettre en place des collections. En marge de ce métier, elle suit une formation de décoratrice sur porcelaine. Passionnée, elle se perfectionne à Limoges et s'affirme auprès des professionnels et particuliers. L'envie d'aller plus loin, d'associer formes et décors devient une évidence, depuis elle dessine et façonne des services de table et objets à vivre en porcelaine, ou chaque pièce passée par le filtre de sa sensibilité devient objet unique et singulier.

Éditrice, elle personnalise à la demande de ses clients décorateurs, boutiques, ou particuliers toute porcelaine de lettrages, textes dessins slogans ou logos. Sophie invite des artistes à s’exprimer, ensemble ils réalisent des petites séries en porcelaine uniques, numérotées et signées.

Labellisée "Maisons de Mode" elle ouvre sa première boutique à Roubaix en 2017. La marque est aujourd'hui présente dans de nombreux points de vente en France et à l’étranger.

https://sophiemasson.com
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THOMAS VAN HECKE x SOPHIE MASSON PORCELAINE