"La Dame de Pique", Une nouvelle de Valentine Mallat-Desmortiers

 

Inspirée de la collaboration X MOUSTIQUE Arles

illustration Roxanne Lagache

Petite étude du cycle gonotrophique

J’ai tourné toute la nuit.

J’ai tourné tant et si bien que j’ai à peine touché le sol, à peine pris le temps de me poser. Résultat ? J’ai les jambes lourdes, la tête qui tourne, le dos fatigué. On dit qu’il n’y a pas d’âge pour, mais peut-être que je n’ai tout simplement plus l’âge de.

L’avantage, c’est qu’il faisait chaud, il faisait bon. Pas un nuage dans ce ciel de juin, que des étoiles. Pour sortir, la nuit idéale. La fête avait lieu dans un jardin, ou était-ce un petit parc ? À l’orée d’un lac en bordure de la ville. Nous étions nombreuses, c’était vendredi, bientôt les vacances. Une guirlande de lampions guidait vers l’événement, ponctuée d’amies lucioles. Il n’y avait qu’à suivre la lumière : on fait difficilement meilleure invitation.

Arrivée là, à boire et à manger. À boire, surtout. Et en quantité ! Je fermais les yeux, ouvrais grands mes autres sens pour me délecter du parfum chaud qui coulait de ma gorge jusque dans mon estomac. Plaisir intact, longtemps délaissé, désormais retrouvé. Seulement, au bout de quelques goulées, le ventre me gonflait déjà et je commençais à slalomer, ne parvenais plus à aller droit. Soudain lourde, comme attirée par les troncs d’arbres couchés sur lesquels les personnes les plus paresseuses s’alanguissaient. Ma pauvre petite Marie, je me disais, tu n’es plus toute neuve, tu as perdu l’habitude de.

Ma concentration était alors toute à éviter les bras, les jambes en mouvement près de moi, à éviter tout ce monde qui faisait fi de mon état. Il ne faut pas croire : je me suis adaptée. J’ai surveillé ma consommation, bu doucement, savouré chaque gorgée et fait des pauses. Longues, plurielles. Ça a très bien fonctionné.

Une chose, je l’admets : je ne suis pas sûre qu’on ait été ravi que je me joigne. Mais quoi ? De là à me priver d’une occasion pareille, il y a un monde. Pas trouble-fête pour autant, je me suis faite petite, suis sagement restée en périphérie. De cette manière-là, je pouvais rester sans trop me faire remarquer. J’ai ainsi pu admirer les corps luisant dans la lumière tamisée ; la sueur qui perlait à leurs tempes ; la peau halée et sucrée de celles qui dégageaient le plus d’assurance ; toute cette chair effervescente, vibrante et lascive, couverte par endroit d’étoffes pailletées ou strassées ; la synchronicité de leurs gestes avec les basses qui sortaient des baffles ; leurs têtes qui se balançaient comme le roulis des vagues sur la mer, des moutons d’écume blonds, bruns et rouges ; le reflet des lanternes dans l’eau calme du lac.

À un moment, une femme m’a vue, a voulu me chasser. Elle était furieuse, fronçait fort les sourcils et faisait de grands gestes avec les bras. Je me suis déplacée, j’ai été là où elle ne pouvait plus me voir. Elle a eu l’air apaisé. Qu’on se le dise : je ne crois pas que le problème soit personnel. C’est un conflit d’intérêts vieux comme Hérode, voilà tout. Que voulez-vous ? J’ai appris à vivre avec. Quelques cousins, croisés sur place au petit matin, m’ont fait me sentir un peu plus à la mienne.

Retrouvez “Marie” chez Moustique, vitrine arlésienne tenue par celles qu’on appelle « les jolies sœurs ». Une boutique au nom qui pique et à la thématique atypique, sans cesse exploitée et réinventée par les nouvelles créations qui y paraissent chaque trimestre ; un succès, quand il s’agit de mettre à l’honneur les embêtantes petites bêtes du paysage camarguais.

MOUSTIQUE Arles - 14 rue du Docteur Fanton - 13200 ARLES - Tel : 04 88 37 09 56


l ‘ auteure

Valentine a 26 ans et écrit depuis plus de 15. Elle travaille actuellement sur un projet de roman.


“Je me suis souvent demandée : à quoi ça ressemble, une auteure ? Au fur et à mesure des années, j'ai alimenté toute une imagerie poétique de l'activité de création. Je ne me figurais certainement pas une enfant aux cheveux sales, chaussettes jusqu'aux genoux sur pantalon de sport 13 % d'élasthanne 87 % polyester. Je me l'imaginais encore moins réciter ses textes contre le radiateur, ou à quatre pattes pour rebrancher l'ordinateur.”

@valentinemaldes


Sophie Masson

De son passé de styliste de mode, Sophie a gardé cette curiosité d’humer l’air du temps, de créer ses propres tendances, de mettre en place des collections. En marge de ce métier, elle suit une formation de décoratrice sur porcelaine. Passionnée, elle se perfectionne à Limoges et s'affirme auprès des professionnels et particuliers. L'envie d'aller plus loin, d'associer formes et décors devient une évidence, depuis elle dessine et façonne des services de table et objets à vivre en porcelaine, ou chaque pièce passée par le filtre de sa sensibilité devient objet unique et singulier.

Éditrice, elle personnalise à la demande de ses clients décorateurs, boutiques, ou particuliers toute porcelaine de lettrages, textes dessins slogans ou logos. Sophie invite des artistes à s’exprimer, ensemble ils réalisent des petites séries en porcelaine uniques, numérotées et signées.

Labellisée "Maisons de Mode" elle ouvre sa première boutique à Roubaix en 2017. La marque est aujourd'hui présente dans de nombreux points de vente en France et à l’étranger.

https://sophiemasson.com
Précédent
Précédent

THOMAS VAN HECKE x SOPHIE MASSON PORCELAINE

Suivant
Suivant

Une nouvelle de Valentine Mallat-Desmortiers.